La répartition de responsabilité internationale entre l'Union européenne et ses États membres en cas de pêche illicite, non déclarée ou non règlementée, à la lumière de l'affaire n°21 du TIDM
A.D.Mer (2016,XXI,175)
Paru le 01/01/2018
Laura Letourneux
Doctorante contractuelle - Université Jean Moulin, Lyon 3 Résumé
La pêche illicite, non déclarée et non règlementée (dite pêche INN) à laquelle se
seraient livrés des navires de pêche, est susceptible de déclencher l’engagement de la
responsabilité des sujets du droit international qui n’auraient pas prévenu ou réprimé
ces infractions. Envisageant cette hypothèse, la Commission sous-régionale des pêches
(CSRP), qui regroupe sept Etats côtiers d’Afrique de l’Ouest, a sollicité un avis
consultatif du Tribunal international du droit de la mer (TIDM). L’une des questions
posées au tribunal concernait plus précisément la répartition de responsabilité entre
l’Union européenne et ses Etats membres, dont les navires battent le pavillon. Elle
suscite des difficultés, liées à l’entremêlement des sujets impliqués : l’Union
européenne dispose d’une compétence exclusive en matière de conservation des
ressources de la mer, en vertu de laquelle elle a conclu des accords bilatéraux d’accès
aux pêcheries avec certains Etats membres de la CSRP, mais les navires de l’Union
arborent le pavillon des Etats membres. Dans son Avis consultatif n°21, le TIDM s’est
fondé sur la compétence exclusive de l’Union dans ce domaine, pour trancher en faveur
de sa responsabilité exclusive. Cet article se propose de revenir sur le lien entre les
notions de compétence et de responsabilité, opéré par le tribunal.
L’analyse vise en premier lieu à étudier la répartition des obligations primaires en lien avec la pêche INN, entre l’Union européenne et les Etats du pavillon des navires. Ces obligations sont qualifiées par le tribunal d’obligations de diligence due, et se déclinent en obligations de prévenir les infractions de pêche INN, et de réagir en cas d’infractions présumées. Dans le cadre de cette répartition, le cadre applicable, qui varie selon si la zone dans laquelle l’infraction a eu lieu est couverte par un accord bilatéral de pêche, doit être pris en compte pour mesurer le rôle de la répartition des compétences entre l’Union et ses membres. Si les accords bilatéraux de pêche, conclus par l’Union, ont pour effet de transférer l’ensemble des obligations qu’ils contiennent à l’Union européenne, la déclaration de compétence annexée à la Convention de Montego Bay ou Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après CNUDM) consacre un transfert au cas par cas des obligations en lien avec la pêche INN, à l’Union et ses membres. Cette distinction théorique sera néanmoins nuancée par l’application pratique de la répartition des obligations de diligence due en lien avec la pêche INN.
Cette étape constitue un préalable à l’étude de la répartition de responsabilité susceptible de découler des manquements à ces obligations primaires. Les principes généraux d’attribution, inadaptés à ces configurations de violations, sont suppléés par la lex specialis résultant de l’Article 6 de l’Annexe IX de la CNUDM, qui dispose que « la responsabilité d’une organisation internationale engagée par un fait internationalement illicite est liée à sa compétence ». S’il semble opérer une interprétation restrictive de cet article, le tribunal considère néanmoins que l’Union est exclusivement responsable, au détriment de ses Etats membres, dont les navires battent le pavillon. Il convient toutefois d’envisager les hypothèses dans lesquelles la responsabilité des Etats du pavillon pourrait être engagée de manière additionnelle à celle de l’Union.
L’analyse vise en premier lieu à étudier la répartition des obligations primaires en lien avec la pêche INN, entre l’Union européenne et les Etats du pavillon des navires. Ces obligations sont qualifiées par le tribunal d’obligations de diligence due, et se déclinent en obligations de prévenir les infractions de pêche INN, et de réagir en cas d’infractions présumées. Dans le cadre de cette répartition, le cadre applicable, qui varie selon si la zone dans laquelle l’infraction a eu lieu est couverte par un accord bilatéral de pêche, doit être pris en compte pour mesurer le rôle de la répartition des compétences entre l’Union et ses membres. Si les accords bilatéraux de pêche, conclus par l’Union, ont pour effet de transférer l’ensemble des obligations qu’ils contiennent à l’Union européenne, la déclaration de compétence annexée à la Convention de Montego Bay ou Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après CNUDM) consacre un transfert au cas par cas des obligations en lien avec la pêche INN, à l’Union et ses membres. Cette distinction théorique sera néanmoins nuancée par l’application pratique de la répartition des obligations de diligence due en lien avec la pêche INN.
Cette étape constitue un préalable à l’étude de la répartition de responsabilité susceptible de découler des manquements à ces obligations primaires. Les principes généraux d’attribution, inadaptés à ces configurations de violations, sont suppléés par la lex specialis résultant de l’Article 6 de l’Annexe IX de la CNUDM, qui dispose que « la responsabilité d’une organisation internationale engagée par un fait internationalement illicite est liée à sa compétence ». S’il semble opérer une interprétation restrictive de cet article, le tribunal considère néanmoins que l’Union est exclusivement responsable, au détriment de ses Etats membres, dont les navires battent le pavillon. Il convient toutefois d’envisager les hypothèses dans lesquelles la responsabilité des Etats du pavillon pourrait être engagée de manière additionnelle à celle de l’Union.
Abstract
IUU fishing activities may lead to the international responsibility of states and
international organizations, in case they fail to prevent or punish those crimes. The
question of the allocation of responsibility between the European Union and its member
states, arose before the International Tribunal of the Law of the Sea, in its advisory
opinion No. 21. The tribunal decided in favor of the responsibility of the EU, based on
the exclusive competence of the EU for the conservation of marine biological resources
under the common fisheries policy. This article seeks to review this link between the
allocation of competences and the allocation of responsibility. Firstly, the allocation of
competences impacts the allocation of the obligations of due diligence, incumbent upon
the EU or its members towards private ships. Here, the distinction between the
application of bilateral fishing agreements, concluded by the EU with West African
countries, and the application of UNCLOS, has to be taken into account. Secondly, the
allocation of competences affects the allocation of responsibility, in case the obligations
of due diligence have been breached. Despite the restrictive interpretation of the Article
6 of Annex IX of UNCLOS, which links competence to responsibility, the tribunal will
conclude to the exclusive responsibility of the UE. The study will nevertheless consider
founding principles for an additional responsibility of flag states.